Je ne sais si, adolescent, j’ai été aussi sensible au langage de Jules Verne que je I’avais été, un peu plus tôt, à celui de Charles Perrault et de Lewis Carroll. L’enfance est séduite par les édifices étranges que forment les mots (« et la chevillette cherra », « off with his head »), l’âge suivant par les cryptogrammes en somme, de part et d’autre, par les rébus. Mais je me rappelle que les Voyages extraordinaires me touchaient par la combinaison, à mes yeux fascinante, des images et des légendes courant sous les images.
Lorsque j’ouvrais l’un des livres édités par Hetzel, je feuilletais les pages jusqu’au moment, qui n’était jamais bien loin, où une illustration, occupant tout l’espace, et plus souvent deux illustrations moins grandes se faisant face fixaient mon regard. Je ne m’inquiétais pas de leur auteur (j’ignorais alors qu’il y en eût plus d’un). Les textes au-dessous de l’image me paraissaient faire corps avec elle : parce qu’ils en donnaient le titre (comme le cartouche d’un tableau) ou y entraient directement (comme le fragment d’un dialogue, ainsi que feraient un jour les phylactères). J’avais le sentiment, juste, de l’histoire – ou plutôt, de l’affabulation. L’histoire m’était fournie par la couverture du Iivre ; cependant les personnages, les lieux, les circonstances, surgissant sous mes doigts de six en six feuillets, me jetaient dans la féerie vernienne.
La légende comme introduction au suspense
J’aimais particulièrement les premières pages, les premières images : où l’auteur réussissait à piquer la curiosité en donnant au récit un point de départ très éloigné des événements qui allaient suivre et cependant fatal. C’était, dans Les Enfants du Capitaine Grant, une bouteille arrachée au ventre d’un monstre marin, dans L’Ile mystérieuse, un ballon fuyant Richmond tenue par les Sudistes, assiégée par les Confédéraux, dans Hector Servadac, deux gentilshommes échangeant leurs cartes sur une plage d’Afrique – ou bien je voyais que le Voyage au Centre de la Terre commençait sur un escalier hélicoïdal enveloppant un clocher de Copenhague (les héros y prenaient des « leçons d’abîme »).