La cohésion sociale est-elle menacée ?
La remise en cause de la légitimité de certaines institutions entraînent une baisse de la conscience collective, une moindre adhésion à des valeurs communes (exemples : famille, Eglise, syndicats).
Le lien social se construit à partir de groupes dans lesquels les individus évoluent et effectuent leur apprentissage (socialisation).
I – La famille
A – Constatations : la famille se transforme
Ce sont les formes traditionnelles de la famille qui sont remises en cause aujourd’hui. Des formes nouvelles apparaissent : la famille n’est plus un modèle unique. Facteurs de cette évolution :
- baisse de la fécondité
- hausse du taux de divorce (39%)
- nombre de mariages
- hausse du nombre de familles mono-parentales
- hausse du nombre de familles recomposées
- développement de l’union libre
- hausse du célibat
- hausse du nombre de couples homosexuels (avec ou sans enfants)
- hausse des naissances hors-mariage (40%)
On peut aujourd’hui parler d’éclatement du modèle unique de la famille même si la famille nucléaire reste encore le modèle le plus répandu.
B – Les causes de cette évolution
- hausse du taux d’activité des femmes : 80% des femmes entre 25 et 49 ans travaillent.
- importance du statut professionnel, du choix de la carrière (conséquences sur le divorce et l’indice de fécondité), hausse de la durée des études.
- émancipation des femmes et évolutions des mentalités. Les rôles masculins et féminins évoluent et se rapprochent. L’homme n’est plus le seul à assurer le financement de la famille.
- urbanisation : anonymat plus important. La famille se transforme beaucoup plus : moindre importance du contrôle social informel.
- individualisme
- hédonisme
- baisse de l’influence de la religion
- planification des naissances
- hausse de l’espérance de vie
- âge du mariage plus tardif
- développement du chômage et de la précarité
- PACS
C – La famille reste toujours un important agent de socialisation et demeure une source de solidarité
La famille transmet des valeurs et des normes, produit un lien social et assure la cohésion sociale. Elle reste toujours présente dans la vie quotidienne même si elle connaît des changements et des formes multiples.
Il existe toujours une solidarité familiale inter-générationnelle : aide en nature ou matérielle, support moral. La génération intermédiaire – les parents – est très sollicitée : importance du cocooning : plus de 50% des 20-24 ans vivent chez leurs parents. La famille permet l’identification de chacun grâce à ses références familiales.
La solidarité augmente avec le chômage : la famille joue un rôle actif face à l’exclusion, c’est un refuge.
Le lien familial peut être essentiel pour empêcher l’exclusion. Malgré son éclatement, la famille retrouve ses vertus protectrices. Elle agit là où la protection sociale se révèle insuffisante.
La famille est un facteur d’intégration sociale : elle protège contre les risques de chômage et d’exclusion.
Conclusion
Plutôt que de parler de crise de l’institution familiale, il faudrait parler de mutations de la famille.
Il existe un risque d’anomie temporaire : on peut parler de perte d’influence de la famille traditionnelle mais cela ne veut pas dire une rupture des liens entre les membres de la famille. On peut parler de l’épanouissement des familles recomposées.
Aujourd’hui, les liens sont moins imposés – les rapports entre les individus sont marqués par le choix – et augmentent la liberté des individus.
La fonction d’intégration sociale de la famille n’est pas remise en cause même si ce rôle d’intégration est différent et que son fonctionnement n’est plus le même. L’attachement des individus à l’institution familiale reste intact malgré un environnement social instable.
II – La religion
A – Quel était son rôle ?
La religion (cf. latin religare : relier) peut relier les individus entre eux et contribuer à la cohésion sociale : elle crée des liens sociaux. Les mêmes normes et valeurs orientent le comportement des individus (soumission).
Les croyances religieuses constituent un élément de la conscience collective : solidarité mécanique. La religion était au coeur de la vie collective et des existences individuelles. Tout événement local avait une dimension religieuse (ex : les pardons en Bretagne). Le curé était une personnalité majeure.
B – Evolution et constatations
Le taux de pratique religieuse dépend de l’âge. Un français sur quatre affirme ne pas avoir d’appartenance religieuse. On assiste à une baisse des vocations et à une remise en cause des conduites prônées par le Pape.
C – La fonction de la religion aujourd’hui
Même si le taux de pratique religieuse a baissé, la religion demeure un point d’attache historique et un héritage familial à transmettre : les identités mémoires.
La religion est une référence identitaire dûe à une culture religieuse. Les 4 rites (ou 4 saisons de la vie) sont toujours importants : le baptême, la communion, le mariage, les obsèques. Ces rites marquent symboliquement les événements clés et tissent des liens entre les générations.
On assiste aujourd’hui à la montée de croyances parallèles (voyance, astrologie, transmission de pensée…). Le catholicisme n’est plus globalisant mais en pièces détachées : on prend désormais ce qui nous convient. La religion n’est plus apte à prescrire des normes de conduite : les individus s’autonomisent.
III – Le travail et l’intégration sociale
Le travail est source de richesses pour Adam Smith. Le lien social est essentiellement marchand. Pour Marx, le travail est source d’aliénation. Pour Durkheim, le travail est le déterminant du lien social à cause de leur complémentarité. Pour Weber, le travail est un moyen pour devenir un élu de Dieu.
A – La place du travail
Le capitalisme s’est accompagné d’une organisation de la société autour de la notion de travail. Notre société valorise le travail. C’est un moyen d’avoir le sentiment d’une utilité sociale (objectifs collectifs).
Le travail est un moyen de se positionner socialement : il est vecteur d’identité et de statut social. C’est un moyen de posséder un revenu qui permettra d’assurer et de conserver son indépendance. Le travail permet aussi de consommer et assure un réseau de sociabilité (collègues, amis…).
Par contre, l’absence de travail est dévalorisée socialement parce que l’absence de revenus condamne l’individu à être dépendant de la redistribution collective, ce qui induit une perte de liberté individuelle (position d’assisté) et du contrôle social. Le chômeur est stigmatisé.
B – L’entreprise sélective
Les entreprises sont de plus en plus sélectives : elles recherchent l’excellence et embauchent à un niveau plus élevé que par le passé. On devient vieux professionnellement de plus en plus tôt.
La conséquence est le processus d’exclusion des non-qualifiés et des chômeurs de longue durée (pertes des repères professionnels et sociaux) : ils deviennent de moins en moins employables et de plus en plus exclus.
C – Le travail intègre ceux qui sont déjà intégrés : les effets de la tertiarisation
Le travail devient de plus en plus immatériel et relationnel. Les compétences sont de plus en plus sociales. La qualification sociale est aussi très importante aujourd’hui : le savoir-être importe plus que le savoir-faire.
Cette compétence dépend de ce qui est vécu en dehors du travail : l’expérience familiale, la qualité de vie relationnelle, les associations, les activités culturelles et politiques.
[cf. Pierre Bourdieu : l’habitus et les 3 formes de capital.]
D – Les risques de fragilité
Constatations
- les actifs occupés peuvent présenter des signes de fragilité car le travail est de moins en moins à même de conférer un statut durable.
- le travail perd de son efficacité en temps que facteur d’intégration sociale
Causes
- flexibilité du travail : emplois précaires : pas d’intégration
- mutations
- perte de confiance
- concurrence
- peur du licenciement
- individualisme
Conséquences
Tout cela détruit le collectif du travailleur et les préoccupations individuelles prédominent au détriment des intérêts communs. L’individualisme a gagné la sphère professionnelle.
Conclusion : il devient utopique aujourd’hui d’envisager une réelle solidarité.
E – Le travail est-il le seul facteur d’intégration ?
Toute forme d’intégration sociale ne passe pas forcément par le travail. Beaucoup d’associations donnent aux individus la possibilité de s’intégrer, d’occuper une place sociale valorisée (associations d’étudiants, chômeurs, 3ème âge…).
Conclusion
La travail facilite certainement l’intégration sociale mais il génère de moins en moins de cohésion sociale à cause des mutations de l’appareil productif. Il existe aussi aujourd’hui un moindre sentiment de partager des intérêts communs.
Le temps de travail baisse, les individus développent donc des activités en dehors de leur travail mais rien n’indique que l’on sorte de cette civilisation du travail. On peut donc parler de crise d’intégration par le travail.
IV – Le syndikrack ou la baisse du taux de syndicalisation
Pour Durkheim, l’Etat ne peut seul assurer la cohésion sociale : il doit donc être relayé par des groupes intermédiaires facteurs de liens sociaux (syndicats). Selon Marx, les syndicats vont permettre la mobilisation de la classe laborieuse. Les syndicats participent à la conscience de classe et sont facteurs de changements sociaux.
A – Origine des syndicats
C’est la loi du 21 mars 1884, la loi Waldeck-Rousseau, qui autorise la liberté syndicale. En décembre 1968, la liberté syndicale est reconnue dans l’entreprise. Dans chaque entreprise, tout syndic représentatif peut constituer une section syndicale.
Les lois Auroux de 1982 ont favorisé l’extension de l’expression syndicale dans les entreprises (obligation de négociation dans les entreprises ayant une section syndicale).
B – Définition et fonction
Les syndicats sont des regroupements d’individus qui permettent la défense des intérêts professionnels, moraux et matériels, collectifs comme individuels.
Les syndicats sont les médiateurs entre les salariés et les employeurs et sont indispensables à la gestion d’une démocratie socioprofessionnelle.
Le syndicat à une fonction de revendication, de défense, d’information, de négociation, de représentation et de contre-pouvoir.
C – La représentativité des syndicats
Elle s’apprécie de différente façons selon :
- le nombre d’adhérents
- l’implantation dans les entreprises : élections dans le comité d’entreprise
- les élections aux conseils de prud’hommes
Cependant, on constate aujourd’hui une érosion syndicale :
- baisse du nombre d’adhérents : crise d’adhésion
- baisse de la participation électorale (CE + prud’hommes)
- augmentation des élus de listes non-syndiquées
- baisse de l’influence des syndicats contestataires (CGT)
- importance des coordinations
D – Les causes conjoncturelles et structurelles de la baisse du taux de syndicalisation
Les facteurs conjoncturels
- avec la crise l’action collective est beaucoup plus incertaine (baisse de l’efficacité des syndicats)
- crainte d’être licencié
- augmentation du nombre d’emplois précaires
- les bastions industriels ne sont plus des zones de recrutement
- cotisations trop chères
- “le passager clandestin”, la théorie de l’américain Mancur Olson (1932-1998) : une action collective est toujours plus rentable pour ceux qui ne s’engagent pas mais qui en profitent quand même. L’individu rationnel n’a aucun intérêt à s’acquitter de sa cotisation, ni à passer son temps pour l’action puisqu’en temps que travailleur, il bénéficiera quand même de l’action de ceux qui se mobiliseront.
Les facteurs structurels
L’évolution de la structure de la population active modifie la clientèle traditionnelle :
- le nombre d’ouvriers baisse, ce qui accentue le clivage entre ouvriers spécialisés (OS) et ouvriers polyvalents (OP)
- expansion du tertiaire : importance des cols blanc (moins syndiqués que les cols bleus)
- plus de cadres et de professions intermédiaires
- plus de femmes, moins syndiquées que les hommes
- le niveau culturel de la population augmente
- les contrats emploi solidarité (CES) sont différents des contrats à durée indéterminée (CDI) : les revendications sont donc différentes
Les autres formes d’expression dans l’entreprise :
- les cercles de qualités font baisser le taux de syndicalisation
- institutionnalisation du droit d’expression avec les lois Auroux de 1982
Le changement de valeurs :
- montée de l’individualisme a supprimé les vastes mouvements unitaires mais a amplifié la recherche d’une revendication identitaire. Or les syndicats continuent de valoriser le groupe.
- la conscience de classe s’effrite (ex : la classe ouvrière)
E – L’utilité des syndicats
Les syndicats représentent la principale institution du monde du travail dans les pays industrialisés (PI). Ils agissent sur les salaires, l’organisation du travail, les conditions de travail…
Le syndicalisme a mené beaucoup de combats et remporté beaucoup de victoire (la durée du travail par exemple). Les syndicats ont une influence bénéfique dans les négociations collectives (ex : les 35 heures).
Ce sont des acteurs indispensables dans la prévention et la régulation des conflits : ils participent toujours à la socialisation des individus car ils produisent un lien social avec leurs membres.
Malgré le déclin historique du taux de syndicalisation, il existe toujours des grands mouvements sociaux.
F – Une adaptation à la société est nécessaire
Le syndicalisme connaît une crise d’adhésion, une crise d’identité et une crise de représentativité. Les syndicats ne doivent plus se cantonner aux revendications collectives.
Aujourd’hui, il faut tenir compte des préoccupations individuelles. Les jeunes générations ont du mal à s’identifier à des organisations historiques bâties sur la référence à l’ouvrier de la Grande Industrie. Les jeunes refusent aussi le syndicalisme politisé et idéologisé (CGT : communiste).
Conclusion
Le syndicalisme est aujourd’hui dans une période de transition, à la recherche d’une nouvelle légitimité. Mais les conflits existent toujours et sont sans doute plus localisés et plus tertiaires. Les coordinations ont plus de succès.
Les voies de la re-syndicalisation passent plus que jamais par la fourniture de services aux adhérents (services juridiques, de conseils…). Il faut que le syndicalisme soit de proximité et tenir compte des aspirations individuelles et non unitaires.
VI – La pauvreté et l’exclusion
A – Comment mesurer la pauvreté ?
Le seuil de pauvreté est conventionnel, il n’existe pas de précision absolue. La pauvreté est un phénomène relatif dans le temps (1950 ≠ 2004) et dans l’espace (pays en développement ≠ pays industrialisés). On essaie cependant de définir la pauvreté par 3 critères :
- le niveau des ressources (revenu mensuel)
- les conditions d’existence : la pauvreté renvoie à des manques, des insuffisances et des handicaps. Etre pauvre, c’est ne pas avoir accès à un mode de vie jugé normal par la société dans laquelle nous vivons (logement indécent, incapacité de satisfaire les besoins primaires…).
- l’approche subjective, basée sur des enquêtes faites auprès des ménages. Est déclaré pauvre celui qui considère que son revenu ne lui permet pas d’atteindre un niveau de vie minimal. Ce revenu est différent selon les individus.
B – Caractéristiques de la pauvreté
- problèmes de logement : mal logés ou sans abri
- problèmes de santé : non couverts par la sécurité sociale
- pas de diplômes : échec scolaire
- ressources faibles : revenus de transferts, minima sociaux
- chômage : chômeurs en fin de droits et RMIstes
- taux de natalité élevé
- personnes âgées pauvres
- familles mono-parentales
- surendettement
- de plus en plus de jeunes pauvres
La pauvreté est nouvelle : elle n’est pas obligatoirement dûe à la reproduction sociale mais est acquise à cause des difficultés économiques et sociales. La pauvreté est un processus : on ne naît pas pauvre, on le devient.
Le cumul des handicaps entretient l’engrenage de la pauvreté, signe d’un grave dysfonctionnement social.
C’est aujourd’hui un phénomène pluri-dimensionnel :
- dimension physique
- dimension morale
- dimension politique
La pauvreté est aujourd’hui plus visible, plus intense et très médiatisée. La pauvreté était bien présente pendant les 30 Glorieuses mais elle n’apparaissait pas comme excluante et ne résultait pas du chômage.
C – Qu’est-ce que l’exclusion ?
La pauvreté est de nature économique, l’exclusion est de nature sociale et marque une rupture du lien social : être exclu, c’est ne plus participer à la plupart des domaines considérés comme indispensables dans la société (travail, famille,…).
C’est l’absence de réseau relationnel et de perspectives de réinsertion dans les réseaux de socialisation. Un exclu est privé de repères traditionnels.
L’exclusion est devenue dans les années 1980-1990 un phénomène de plus en plus médiatisé et placé au coeur des discussions politiques.
D – La pauvreté peut être cause d’exclusion
Quand la pauvreté matérielle s’installe, elle peut se répercuter dans d’autres domaines. Fautes de relations professionnelles, le réseau de sociabilité se restreint. La famille ne fournit pas toujours l’aide matérielle.
La pauvreté dévalorise l’ensemble des dimensions de l’identité d’un individu. Elle entraîne un processus de disqualification sociale. Le refus ou l’impossibilité d’assumer une telle image de soi peut conduire à une rupture du lien social. Le statut d’assisté entraîne une modification en profondeur de son identité.
E – La pauvreté peut être conséquence d’exclusion
La pauvreté peut être la conséquence de la décomposition du lien social :
- crise des grandes institutions intégratrices : famille, école, religion
- l’entreprise est de plus en plus sélective
- le chômage poursuit ce processus d’exclusion et entraîne la pauvreté.
Bonjour, votre article est extrèmement pertinent pour mon travail d’université sur l’exclusion sociale des personnes agés , j’aimerais toutefois pouvoir connaître vos sources d’information pour pouvoir citer vos propos dans ma recherche.
Bonjour Rosemarie,
Ces articles commencent à dater un peu – ils ont été écrits en 1998 et 1999 et ont survécu à plusieurs pertes de disques durs. Je n’ai plus la bibliographie mais la recherche était basée sur les livres d’économie et de sociologie des classes de premières et terminales de l’époque principalement.